Le Parlement Européen et les discriminations en matière d’héritage en Tunisie

Deux semaines, jour pour jour, après le dépôt par le député Mehdi Ben Gharbia en date du 4 mai 2016 d’une proposition de loi soutenue par 27 députés visant à « abolir » les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes en matière d’héritage, la Commission des affaires étrangères du Parlement Européen a examiné en date du 19 mai 2016 une série d’amendements au projet de résolution qu’elle avait élaborée deux mois auparavant dans le cadre de la refonte des relations de la Tunisie avec l’UE dans un nouveau partenariat « Relations de l’Union avec la Tunisie dans le contexte régional actuel ».

La proposition originale de résolution dont l’amendement a été engagé en commission en date du 19 mai 2016 se présentait comme suit :

Le Parlement européen,

8. invite à favoriser l’équilibre hommes-femmes dans le contexte de l’action publique, le renforcement de la participation des femmes dans la vie publique et le secteur privé, ainsi que l’intégration des jeunes dans la vie politique, au regard notamment de leur participation aux élections locales; salue les dispositions législatives relatives à la représentation des jeunes dans le contexte des élections locales et régionales;

Cinq amendements seront présentés dont trois réellement pertinents, ont été pris en considération. Nous n’en retiendrons que deux. Le premier, déposé par le rapporteur de la commission lui-même, l’italien Fabio Massimo Castaldo du mouvement populiste 5 Étoiles, vise à préciser que l’équilibre hommes-femmes inscrit dans le projet initial concerne « les questions liées aux droits de succession et de mariage » alors que jusqu’alors, la proposition recommandant le renforcement de l’équilibre hommes-femmes qu’il avait lui-même initialement proposée revêtait plutôt un aspect général et ne visait aucun domaine en particulier. Un autre eurodéputé sera impliqué dans le ciblage de la discrimination hommes-femmes en matière d’héritage, l’écossais Alyn Smith  du groupe des Verts qui ira bien plus loin que le rapporteur de la commission en proposant « que la Tunisie réforme son code du statut personnel afin d’abroger les lois discriminatoires à l’égard des femmes, conformément au principe de l’égalité entre hommes et femmes de la constitution, notamment en matière de droit de succession, de dot, de filiation, de droit au mariage, et de supprimer la réduction des peines de prison pour un homme accusé du meurtre de sa femme lorsqu’elle est coupable d’adultère; recommande la suppression de la déclaration générale de la Tunisie sur la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes »

Les propositions du rapporteur et de l’eurodéputé seront retenues, adoptées et votées en première lecture par le Parlement Européen à une très large majorité, 596 voix pour, 59 contre et 49 abstentions, le 13 septembre 2016.

La simultanéité des discussions du projet de loi par l’Assemblée des Représentants du Peuple au Bardo et les travaux de la Commission des Affaires Étrangères du Parlement Européen n’est pas fortuite mais dénote de l’appui de l’Union Européenne aux initiatives liées à la suppression des discriminations en matière d’héritage d’autant qu’à l’époque, l’orientation des débats de la Commission de la santé et des affaires sociales de l’ARP ne laissait plus envisager une issue favorable pour l’adoption du projet du député Mehdi Ben Gharbia finalement abandonné. La récupération du projet par le Parlement Européen est sans équivoque. Elle s’insère dans la nouvelle logique exprimée par les euro-députés de ne plus lier l’aide apportée par l’Europe à la Tunisie à la qualité des projets économiques et financiers auxquels elle contribue mais également aux avancées en matière de respect et promotion des Droits de l’Homme comme l’a souligné l’eurodéputée Marie-Christine Vergiat.

Le Parlement Européen, le 14 septembre 2016, a voté la résolution suivante où il :

14.     invite à favoriser l’équilibre hommes-femmes dans le contexte de l’action publique, notamment en réformant le Code du statut personnel afin d’abolir les lois discriminatoires à l’égard des femmes telles que celles qui régissent les successions et le mariage, ainsi qu’à renforcer la participation des femmes dans la vie publique et le secteur privé, conformément à l’article 46 de la constitution tunisienne; encourage en outre la création de programmes d’accompagnement pour les femmes qui pourraient être les dirigeantes de demain dans l’optique de favoriser leur accès à des postes à responsabilités; recommande que la Tunisie abroge sa déclaration générale concernant la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes;…

Objectivement, au regard des intérêts réciproques, il serait excessif de considérer que la suppressions des discriminations est une condition de l’assistance européenne comme l’ont déclaré certains politiques, y compris des candidats à la Présidence de la République. L’Europe appuie l’initiative dont les fondements réels se trouvent en Tunisie même, ne datent pas de l’année 2016 mais de dizaines d’années même si certains opportunismes politiques s’en sont saisis au lendemain de la Révolution de 2011 et à partir de 2016 et 2017 en particulier.


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